Témoignage. L’immobilier logistique français dans le creux de la vague ?

30/10/2023

Analyse d’Arthur Loyd Logistique

1) Les prestataires logistiques restent mobilisés sur le marché des utilisateurs
Avec 2,2 millions de m² placés au cours des 9 derniers mois, soit une baisse de 16% par rapport à 2022, le segment de l’immobilier logistique affiche des résultats mitigés à la fin septembre 2023. « L’attentisme continue de prévaloir sur le marché des utilisateurs. Ces derniers doivent non seulement tenir compte du durcissement de l’environnement économique, mais également du resserrement du crédit et de l’augmentation du coût de la dette, des facteurs qui complexifient sensiblement le lancement de nouveaux projets immobiliers » note Didier Terrier, Directeur Associé d’Arthur Loyd Logistique.

Dans ce contexte peu favorable, les réalités divergent cependant selon les ensembles géographiques de l’Hexagone. Exception faite de l’année 2020, marquée par la crise sanitaire, les pôles majeurs de la Dorsale connaissent leur plus faible performance enregistrée depuis 2016, avec seulement 1,3 million de m² placés, soit une baisse de 33% par rapport à 2022. La région francilienne, traditionnellement leader, est à la peine, avec seulement 441.000 m² commercialisés, marquant ainsi un retrait de 52% en un an. Confrontés à un manque d’offre persistant, les pôles lyonnais et – dans une moindre mesure – marseillais connaissent eux aussi une trajectoire négative, avec 417.000 m² pris à bail au cours des 9 derniers mois. « Ainsi la région lilloise, où la demande placée atteint 445.000 m², soit une hausse de 21% par rapport à 2022, fait elle figure d’exception parmi les pôles de la Dorsale. Cela même si un ralentissement d’activité y a été observé durant les 3 derniers mois » observe Didier Terrier. Sans renouer avec leur record de 2019, les secteurs secondaires de l’Hexagone bénéficient quant à eux d’une dynamique positive. En hausse de 31% par rapport à 2022, la demande placée y atteint 900.000 m² entre janvier et septembre 2023. « Un niveau d’activité élevé qui s’explique principalement par la réalisation d’opérations clés-en-mains, souvent initiées de longue date, mais également par la résistance du créneau des transactions de petit volume » note Didier Terrier. Peu affecté jusqu’ici par la crise, le segment des opérations de moins de 20.000 m² connaît ainsi plus globalement sa deuxième meilleure performance enregistrée depuis 2011, avec 82 transactions réalisées, pour un total de 904.000 m². A l’origine de 57% de la demande placée totale, soit un point haut, les prestataires continuent d’être les principaux soutiens du marché de l’immobilier logistique, et connaissent même leur deuxième meilleure performance enregistrée depuis 2011. En témoignent les exemples de Houtch à St Quentin (Aisne), Alainé à Sury-le-Comtal (Loire) et Deret à Mer (Loir-et-Cher), ils n’ont notamment pas hésité à prendre des positions sur des surfaces de grand volume. Le recul de la demande placée en France s’explique donc par le retrait des chargeurs et, plus spécifiquement, de la grande distribution et du e-commerce, dont les prises de surfaces diminuent respectivement de 65% et 93%. Une baisse contrebalancée, dans une certaine mesure, par les positionnements des grossistes et des industriels, qui ont acquis ou pris à bail 593.000 m² de surfaces au cours des 9 derniers mois, soit une performance quasi record. A ce stade, il est difficile de dire si cet essor de la demande des industriels n’est que ponctuel, ou s’il s’agit d’une mutation structurelle du marché de l’immobilier logistique dans le sillage de la dynamique actuelle de réindustrialisation de la France. Atteignant 1,6 million de m², la demande placée de surfaces neuves connaît certes une baisse de 6% par rapport au T2 2023. Au cours des 12 dernières années, son poids dans la demande placée totale n’a cependant jamais été aussi important, représentant 72% du volume global commercialisé. Si ce segment est principalement soutenu par les opérations clés-en-main, 19 transactions – représentant un volume total de 377.000 m² – ont plus spécifiquement porté sur des bâtiments lancés en blanc. Alors que le durcissement du crédit complexifie considérablement la concrétisation de nouveaux lancements spéculatifs, ces derniers représentent cependant toujours pour les utilisateurs un moyen de répondre à des besoins immobiliers urgents. « A noter cependant, dans un contexte de raréfaction de la demande exprimée de bâtiments XXL, que les propriétaires de programmes spéculatifs de grand volume pourraient être amenés à faire évoluer leur stratégie de commercialisation, en ayant un recours accru à la division de leurs plateformes » ajoute Didier Terrier. A ce stade, la livraison de ces bâtiments XXL participe d’un relâchement de la tension pesant sur l’offre de bâtiments logistiques disponibles sous 6 mois. Cette dernière atteint 2,5 millions de m² dans l’Hexagone à la fin septembre 2023, soit une hausse de 6% en 3 mois. Elle culmine à un niveau de 853.000 m² en Hauts-de-France, principalement localisée dans l’ancien Bassin Minier. Le stock connaît également une évolution haussière dans les pôles francilien et lyonnais, où il atteint respectivement 774.000 et 100.000 m². A l’inverse, il se positionne à un point bas en région marseillaise, où il ne dépasse pas 21.000 m². A l’extérieur des pôles majeurs de la Dorsale, 794.000 m² de surfaces logistiques sont disponibles sous 6 mois. Le loyer moyen de transaction – pondéré par la surface – des bâtiments de classe A progresse légèrement, atteignant 52 euros par m² et par an. Une hausse qui s’explique par la réalisation de plusieurs transactions dans des zones Prime de l’Hexagone, en Ile-de-France, en région lyonnaise ou encore dans le bassin rennais. Après avoir connu une nette augmentation en 2022, reflets de la tension sur l’offre mais également de l’augmentation des coûts de construction, les valeurs locatives de marché progressent désormais de manière plus mesurée, se stabilisant même dans certaines régions. « L’un des effets pervers de cette évolution haussière étant le grippage du marché des utilisateurs et, plus précisément, des chargeurs. Nombre de ces derniers privilégient ainsi un maintien de leurs activités dans leurs entrepôts historiques, pourtant parfois peu conformes à leur activité actuelle, plutôt qu’une implantation sur des sites plus adaptés, mais avec des niveaux de loyers nettement plus élevés » conclut Didier Terrier.

2) Investissement : une reprise timide, et inégale selon les secteurs géographiques
Seul un milliard d’euros a été engagé sur le segment de l’immobilier logistique au cours des 9 premiers mois de l’année 2023. « Le marché de l’investissement reste pénalisé par l’instabilité macroéconomique globale, en dépit d’un léger rattrapage au troisième trimestre 2023. La nouvelle donne monétaire n’est pas pour faciliter les échanges entre vendeurs et acquéreurs potentiels d’actifs, alors que la BCE a à nouveau redressé à la mi-septembre ses taux directeurs, cela pour la dixième fois depuis l’été 2022 » note Nicolas Chomette, consultant associé en investissement chez Arthur Loyd Logistique. De fait, l’investissement en immobilier logistique a connu en 2023 sa plus faible performance enregistrée en 6 ans. Si le segment des portefeuilles reste plus particulièrement affecté par la crise, ne recueillant que 330 millions d’euros d’engagements, les transactions unitaires connaissent elles aussi une tendance nettement baissière, avec seulement 670 millions d’euros investis entre janvier et septembre 2023, marquant ainsi un recul de 65% par rapport à 2022. A noter que le troisième trimestre 2023 a plus spécifiquement été stimulé, pour la première fois depuis le début d’année, par la finalisation d’une opération de grand volume. Ainsi le portefeuille Camélia, constitué d’actifs localisés sur la Dorsale, a-t-il été cédé par Logicor a P3 Logistic Parks.

« La fin d’année 2023 devrait par ailleurs être marquée par la finalisation de plusieurs opérations supérieures à 100 millions d’euros. Soit une illustration du fait que l’intérêt des investisseurs pour l’immobilier logistique reste réel, cela même s’ils font preuve de plus de prudence que par le passé, se positionnant prioritairement sur la Dorsale. Si ces transactions devraient permettre au marché de l’investissement de connaître un atterrissage plus favorable qu’anticipé originellement, l’année 2023 aura pâti du manque de cessions de portefeuilles de plus grand volume, de même que de l’absence de transactions spéculatives d’envergure » observe Nicolas Chomette. Fait notable, les opérations de petit volume font quant à elles preuve d’une capacité de résistance certaine. Plus de 700 millions d’euros, soit 73% du volume global investi, ont ainsi été engagés dans le cadre de transactions inférieures à 50 millions d’euros. Elles connaissent même leur deuxième meilleure performance enregistrée en 6 ans. « Ainsi nombre d’investisseurs ont-ils revu pour l’heure à la baisse leurs ambitions, cela dans l’attente d’une stabilisation des taux directeurs » ajoute Nicolas Chomette. Les pôles majeurs de la Dorsale concentrent 81% des volumes engagés dans le cadre de transactions unitaires. Alors que l’année 2022 avait été marquée par un niveau record de volumes injectés dans les pôles secondaires, les investisseurs engagés dans le cadre de stratégies Core tendent désormais à privilégier les pôles majeurs de la Dorsale, à fortiori la région parisienne et – dans une moindre mesure, faute d’opportunités – la région lyonnaise. « Il est à noter que les secteurs secondaires ont subi de plein fouet ce recentrage, qui a eu pour conséquence une nette décote de certains actifs mis sur le marché, et a parfois amené à l’annulation des transactions, lorsqu’aucun accord sur les nouvelles valeurs à appliquer ne pouvait être trouvé entre vendeurs et acquéreurs potentiels » poursuit Nicolas Chomette. Reflets de ces visions divergentes, les montants investis dans les secteurs secondaires ont ainsi fléchi de 76%, ne dépassant pas 130 millions d’euros. Comme l’illustrent les investissements récents d’Epopée Gestion et Alderan, l’ajustement des taux dans les pôles secondaires a toutefois permis à des investisseurs français – retrouvant des niveaux de rendement répondant à leurs attentes – de se positionner. Cela alors que les acteurs anglo-saxons se sont quant à eux concentrés sur la Dorsale. Les investisseurs internationaux demeurent actifs sur le marché français. En témoignent les engagements de GLP, Castignac, ou encore Etche KKR, avec l’acquisition du portefeuille Scott, ils peuvent notamment déployer des fonds Core+, pourvus de capitaux importants. « Principaux acteurs du marché, fortement sélectifs – à l’instar des investisseurs engagés dans le cadre de stratégies Core – et ne disposant que de peu d’equity, ces fonds se concentrent aujourd’hui sur les localisations les plus Prime de l’Hexagone » explique Nicolas Chomette. « Le marché de l’investissement a gagné en stabilité depuis le début d’année 2023. Si les prochains mois devraient être marqués par une nouvelle phase de décompression des taux, cette dernière pourrait être bien plus mesurée. Cela en l’absence de nouvelle crise géopolitique, un risque qu’on ne saurait négliger au regard des évolutions récentes » ajoute Nicolas Chomette. La perspective d’une réversion locative demeure un facteur clé pour les acquéreurs potentiels de bâtiments logistiques. « Ainsi le taux prime portant sur des actifs ne présentant pas ce type d’opportunité avoisine-t-il aujourd’hui 5,00%. Cela alors que plusieurs transactions en cours – pourvu qu’elles s’accompagnent d’une prévision d’augmentation des loyers – pourraient se finaliser sur la base d’un taux de capitalisation proche de 4,50% » conclut-il.
Photo : Didier Terrier ©Guilain de Coligny
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